jean fourastie

Pour Jean Fourastié, le progrès apporte la croissance, mais la croissance ne peut être indéfinie. Ailleurs, il a parlé de « période transitoire » ; ici, il montre que la suite de la vie du monde sera marquée par une  croissance moindre ou même la stagnation, ce qui était d’ailleurs le cas, avec un niveau de vie bien moindre, de la millénaire humanité (Dernier chapitre économique de Les Trente Glorieuses, éd. Pluriel, p.249-259, 1re édition 1979 ).

 Beaucoup des remarques et des obstacles prévus par Jean Fourastié en 1979 constituent encore aujourd'hui un enseignement pour nous.Il serait bon de ne plus espérer sans cesse la croissance future : nous devrions nous contenter de celle que nous avons reçue et apprendre à la répartir !

 

CHAPITRE X

La fin des temps faciles

Ce chapitre sera court, mais son sujet est capital. On y verra pourquoi, même si les trente années qui ont suivi la guerre n'appelaient pas un changement profond dans les attitudes et les comportements politiques, sociaux et moraux, cette époque est devenue caduque pour des motifs strictement économiques.

Depuis 1968 ou 1970, j'attendais la fin des « trente glorieuses ». Ma raison était bien simple et je l'avais exposée publiquement à plusieurs reprises : c'est que 210 = 1 024 [1] . J'attendais donc, sans être capable fixer la date, une inflexion radicale de la croissance occidentale et française ; à la vérité, je l'attendais plutôt de la désorganisation et de l'engorgement du crédit et du système monétaire international. Mais lorsque que la décision de hausse des prix du pétrole fut prise, et que rien ne vint rompre le monopole, je n’eus aucun doute sur la fin irrémédiable des temps faciles [2].

En effet, 210 est un nombre supérieur à 1 000. Une grandeur qui double dix fois de suite, devient plus de 1 000 fois plus forte qu'à son origine.

Or nous avons vu, tout au cours de ce livre, quantité de facteurs en croissance très rapide, augmentant qui de 2 % par an, qui de 3, qui de 5 ou 6, parfois plus... et l'on doit savoir qu'un phénomène qui croît de n % par an double en 75/n années. Prenons l’exemple du niveau de vie (chapitre V). Nous avons vu les salaires horaires les plus faibles (salaires totaux, c'est-à-dire y compris les prestations sociales) plus que tripler en trente ans, c'est-à-dire croître au rythme du doublement chaque vingt ans. La perpétuation de ce mouvement serait une multiplication par 1 024 en 200 ans. Voyez-vous les gens consommer 1 000 fois, ou seulement 500, ou seulement 60 fois plus qu'aujourd'hui ? Voyez-vous le nombre que cela suppose d'automobiles, de machines à laver, d'appartements, de résidences secondaires ou tertiaires, de bateaux de plaisance, de sucettes à la menthe et de leçons de mathématiques ? De quels sarcasmes de telles consommations seraient-elles qualifiées, si elles étaient aujourd'hui le fait d'un multimilliardaire ? Or, pour multiplier par 64, il suffit de six doublements.

Plus encore, le revenu national réel (voir chapitre VII, tableau 43, p. 206) a été multiplié par 4 en 27 ans, de 1948 à 1975.

On pourrait multiplier les exemples, rendements des terres, nombre d'agriculteurs et nombre de personnes nourries, durée du travail, loisirs, tourisme…  Donnons seulement un second exemple, celui de la production industrielle, celui que je donnais dès 1961. La production industrielle française a, d'après les indices de l'I.N.S.E.E. (cf. chapitre VII) été multipliée par 5 en 27 ans, de 1947 (niveau d'avant-guerre) à 1974. Cela fait une multiplication par 25 en 54 ans, par 125 en 81 ans, par 625 en 108 ans. Le maintien d'une telle croissance supposerait donc une production française de 100 milliards de tonnes d'acier vers l'an 2100, et mondiale de 10 ou 15 mille milliards de tonnes.

Je calculais, à ce train, la date à laquelle la masse même de la Lune, puis celle de Mars, de Vénus et encore de la Terre, seraient, en quelques années, transformées en réfrigérateurs, machines à laver, automobiles et immeubles de béton [3].

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Il n'est donc pas dans la nature d'un phénomène multimillénaire comme l'humanité de vivre des changements aussi brutaux. Des métamorphoses se font jour, mais elles sont courtes. Ou bien elles aboutissent à la destruction de ce qui ne devrait être qu'un changement. La nature et la durée du « phénomène humain » appellent des évolutions lentes.

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Il aurait pu se faire que l'engorgement du crédit, le désordre de l'instabilité des monnaies, détraquent la croissance glorieuse et soient l'accident qui impose à l'Occident un rythme moins explosif. En effet, les années 60 ont vu, partout dans le monde, mais notamment en France, des folies de crédit. En vive croissance de la consommation et du niveau de vie, on anticipait la croissance à venir, encore non échue. En pleine prospérité on anticipait la prospérité. Le gigantisme et le gâchis public (national et municipal) s'étendaient aux sociétés privées, garanties par l'inflation monétaire contre les strictes sanctions de la rentabilité des investissements, des amortissements et des prix de revient.

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La rareté (relative) à l'échelle mondiale des matières premières, et notamment de l'énergie mécanique, et les fols abus du crédit et des jeux financiers, sont ainsi aujourd'hui les deux premiers facteurs de la fin des temps faciles et du retour aux temps normaux.

Le troisième des facteurs importants — celui qui s'affirmera certainement majeur à moyen terme — est le démarrage économique d'un nombre non négligeable de pays du tiers monde. Le temps est passé où le tiers monde n'était pour l'Occident qu'un réservoir pléthorique de matières premières (sans jamais devenir un concurrent, ni pour l'utilisation de ces matières, ni pour la vente d'objets manufacturés). Aujourd'hui, déjà plusieurs pays pauvres ont commencé de suivre la voie ouverte par le Japon dans les années vingt et trente. Ils commencent à produire, avec des techniques modernes et donc des productivités fortes, des textiles, des produits métallurgiques et divers objets manufacturés, dont les prix de revient sont évidemment très inférieurs aux nôtres par l'effet de l'écart (souvent encore de un à trois ou quatre) des salaires réels.

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Ces facteurs, simples et décisifs, sont pourtant mal ou trop lentement perçus par l'opinion publique en France, et même par les états-majors politiques. La réaction immédiate et vive qu'ont eue dès 1973 des pays comme la Suisse, l'Allemagne fédérale, le Japon, les Pays-Bas, n'a pas eu lieu en France. Une année a été perdue sous Pompidou, deux années sous Giscard. Il fallait sonner l'alarme, comprendre et faire comprendre que tout progrès de pouvoir d'achat s'avérerait impossible ou néfaste pendant trois ans au moins. La réaction Barre a été salutaire, mais reste, malgré lui, molle et comme ambiguë ; de plus, on ne peut rattraper trois années cruciales.

Les années à venir continueront donc d'être difficiles. La France n'assainira sa situation qu'à la longue ; elle ne pourra le faire qu'en reconnaissant qu'elle a vécu plusieurs années « au-dessus de ses moyens » (c'est-à-dire en distribuant des revenus plus élevés que sa production ne devrait le permettre) ; elle devra subir une baisse du pouvoir d'achat non pas seulement de ses cadres (comme cela a commencé d'être aujourd'hui), mais de la masse de ses salariés, ouvriers et employés, et de ses agriculteurs, commerçants et professions libérales.

L'économie française dans le monde des années 80

La majorité des Français ne se fait qu'une idée vague des réalités économiques et des conditions du progrès économique. La rédaction et le succès auprès de près de la moitié des Français du Programme commun de la gauche, signé en 1972, en témoignent clairement. On peut sans doute résumer la pensée latente d'une majorité de Français, au début des années 70, et notamment des militants politiques et syndicalistes et des intellectuels de gauche (la majorité de nos journalistes, de nos instituteurs et de nos professeurs), en disant que, du moment qu'un très grand progrès économique a été réalisé de 1950 à 1972, ce progrès doit, et se poursuivre, et s'accélérer. C'est seulement depuis 1973 que bon nombre de gens commencent à s'apercevoir que le progrès ne va pas de soi, que l'économie nationale est une machine complexe et fragile, et que «tout» n'est pas « possible ».

A. La situation de base

D'abord, si rapide qu'ait été et que puisse être le progrès économique, les structures essentielles d'une économie nationale faisant vivre 53 millions de personnes ne peuvent changer du tout au tout en quelques mois ni en quelques années.

Les traits majeurs de cette situation sont les suivants. Le niveau de vie des Français place la France au dixième rang des 160 nations entrant dans les statistiques de la Banque mondiale. Ce niveau de vie est les trois quarts de celui des Etats-Unis d'Amérique (le grand pays le plus riche), et au moins cinquante fois supérieur à celui des masses du tiers monde (on a dit avec raison que les chiens et chats d'appartement consomment en France plus que l'habitant moyen du Caire, de New Delhi ou de Calcutta).

Ce niveau de vie, hautement privilégié, est dû à une très forte production par tête de travailleur et par heure de travail. Cette forte production est elle-même due à l'efficacité de notre organisation économique et industrielle. La productivité de l'heure de travail moyen est en effet, en France, l'une des plus hautes du monde. Elle s'est accrue depuis 1951 au rythme moyen de 5 % par an.

Tels sont les points forts de la situation économique et sociale de la France. Les progrès des techniques de production, de l'organisation du travail et des entreprises ne devant, à vues humaines, ni s'arrêter ni même ralentir, au cours des prochaines années (sauf dérèglements politiques graves), les perspectives fondamentales de la France sont largement favorables.

B. L'économie française dans le monde de 1980. La fin des temps faciles

Cependant, la longue période de temps (1945-1973) où les progrès techniques se répercutaient presque immédiatement en progrès économique et en progrès social, est terminée. Les temps faciles sont interrompus depuis 1973, et pour une durée assez longue (qui pourra d'ailleurs comprendre quelques années brillantes, mais isolées) ; l'Occident ne connaîtra plus d'ici plusieurs lustres, un progrès économique comparable à celui qu'il vient de vivre pendant ce quart de siècle

Les raisons de ce changement profond sont mondiales ; à ces facteurs mondiaux s'ajoutent, en ce qui concerne la France, des facteurs nationaux.

1. La situation mondiale

De 1945 à 1973, l'économie française a été entraînée et valorisée par la croissance de l'économie occidentale. Le facteur fondamental de la croissance, le moyen concret de réaliser « le grand espoir du XXe  siècle», avait été découvert, reconnu, et put être mis en œuvre partout en Occident. Le progrès des techniques de production permit d'accroître la production agricole, industrielle et tertiaire partout en Occident.

Et, bien sûr, une consommation croissante était avide d'absorber ces productions croissantes partout dans le monde. Sauf incidents de détail, vite résorbés par le courant irrésistible des croissances conjointes des productions et des consommations, l'immense appareil de la « société industrielle et commerciale » s'édifia sans heurt, du Japon et des États-Unis à l'Allemagne fédérale. Ce sont ces 25 années que j'ai appelées: les temps faciles. Aujourd'hui, des facteurs de blocage, ou du moins de freinage, d'inflexion, sont apparus.

1. Le premier, le moins immédiatement contraignant peut-être mais celui qui, pourtant, commande ou au moins influence grandement tous les autres, c'est la rareté (relative) de l'énergie et des matières premières.

Doubler tous les dix ans le volume de la production industrielle, comme nous l'avons fait de 1950 à 1975, c'est, nous venons de le dire, le multiplier par 1 000 en 100 ans. À ce train, l'Occident et même la France seule en viendraient à traiter chaque année la totalité des matières premières disponibles sur la planète.

On sait déjà que les États-Unis et l'Occident absorbent, pour une minorité d'habitants, la majeure part des ressources mondiales.

Cela ne peut pas aller beaucoup plus loin ; cela ne peut pas continuer ; cela ne peut pas durer.

Cette limite fondamentale à la croissance des pays occidentaux, à ce type de croissance des pays occidentaux, s'est manifestée concrètement par l'embargo monopolistique mis sur le pétrole par les pays de l'O.P.E.P. Ainsi, le pétrole des pays arabes peut-il être vendu 10 $ le baril, alors que son prix de revient est de 0,1 $ le baril. Mais cette stratégie des producteurs de pétrole n'est que l'exemple, peut-être le modèle, des stratégies qui caractérisent déjà, et vont désormais caractériser, les productions et les ventes de beaucoup de manières premières et de produits de base.

J'énumère maintenant les trois facteurs mondiaux qui naguère entraînaient la France dans sa croissance, aujourd'hui la contrarient et la freinent. Ce sont :

2. L'industrialisation de certains pays du tiers monde.

3. La désorganisation du commerce international.

4. La désorganisation du système monétaire international [4]

Chacun de ces quatre facteurs fondamentaux rétroagit sur les autres, et engendre des facteurs secondaires, qui eux-mêmes agissent et rétroagissent en chaîne. Sans doute, l'extrême souplesse du régime libéral international et l'extrême créativité qui résulte de cette lutte pour la vie (ou pour la richesse), assurent que le système ne se bloquera pas, et que la croissance mondiale, engendrée par le progrès technique, se poursuivra. Mais on peut être certain que la machine aura des « ratés » ; elle sera bien moins alerte qu'au cours du troisième quart de ce siècle. Faute de régulation à l'échelle mondiale, tout porte à croire qu'elle sera plus dure encore que par le passé aux peuples qui n'auront pas les réflexes des forts.

2. La situation de la France

La situation de la France n'est forte ni par son poids démographique, ni par sa structure industrielle ni par le comportement de ses citoyens.

Les principaux facteurs de la faiblesse industrielle de la France, sont, dans l'ensemble, bien connus et apparaissent clairement si l'on compare la France par exemple, à l'Allemagne, à la Suisse ou au Japon. On peut ranger ces facteurs de faiblesse sous quatre chefs.

1. Des coûts salariaux trop élevés pour le niveau moyen de productivité de la nation. On en vient dans certains cas, disent des experts, à égaler les coûts salariaux des États-Unis, alors que les écarts de productivité sont de l'ordre de 6 contre 10.

2. Un commerce extérieur des plus fragiles, presque constamment en déficit en longue période. Les importations, très chargées par l'énorme déficit énergétique de la France, sont très sensibles à la croissance de la consommation intérieure et à celle des investissements intérieurs, de sorte que toute reprise rapide de la production et de la consommation se répercute immédiatement en hausse plus que proportionnelle des importations.

Les exportations portent presque toutes sur des produits que beaucoup d'autres pays que le nôtre savent produire ; très peu sont placées dans les « créneaux » où la demande internationale s'accroît.

Notamment notre commerce extérieur est très vulnérable à la concurrence des jeunes industries qui commencent à se développer dans quelques pays du tiers monde (textiles, sidérurgie, mécanique, etc.).

3. Plus généralement, notre industrie est mal armée pour résister aux temps difficiles. Elle utilise trop peu les aptitudes techniques et l'imagination créatrice d'une population active dont le niveau est l'un des plus élevés du monde. Trop d'entreprises, protégées mais ainsi sclérosées, par des protections, subventions et réglementations administratives, tendant par exemple à éviter les licenciements, se trouvent en désaccord avec la réalité. Une politique, exagérément sensible au court terme, a retardé, retarde et rend plus difficile la nécessaire, l'inéluctable adaptation au long terme.

Notamment, on l'a vu, l'interdiction de licencier, qui paraît, en bon sens, interdire le chômage, ne protège nullement un peuple contre lui. Il faut comprendre que l'économie est un ensemble complexe en évolution : maintenir des emplois inutiles, c'est ralentir et parfois bloquer le mouvement ; par contre, supprimer des emplois inutiles, c'est libérer des moyens de créer des emplois utiles.

4. Plus généralement encore, donc, l'économie française souffre sérieusement du manque de connaissances économiques du peuple français et de ses classes dirigeantes, et du climat politique de revendications incessantes et de contestation ininterrompue qui en résulte. Sans cesse, dans ces luttes politico-sociales, le long terme se trouve sacrifie au court terme ; ces luttes usent stérilement des forces qui, en d'autres pays, se conjuguent dans la volonté de réussite.

C'est pourquoi la crise culturelle qui s'annonce depuis quelques années et qui s'affirme depuis plusieurs mois, est aujourd'hui le facteur majeur de l'évolution prochaine de l'industrie française même

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Le rapport « Interfuturs » que M. Jacques Lesourne a élaboré pour l'O.C.D.E. avec l'assistance d'un comité d'experts internationaux, conclut que l'hypothèse plus probable pour les nations européennes est une croissance moyenne de 3 à 3,2 % d'ici à l'an 2000. Ces chiffres confirment bien que le dernier quart du XXe siècle ne sera pas aussi brillant que le troisième. Mais je crains une baisse plus accentuée encore ; je crains que la France ne puisse dépasser 2 à 2,5 % an sur vingt ans. Les États-Unis pourraient rester au-dessus de 3 et le Japon entre 4 et 5. Par contre, certains pays du tiers monde pourraient accède des croissances aussi rapides que celles qui furent les nôtres au cours des glorieuses années cinquante et soixante : 6 % peut-être pour la Chine, la Corée, la Malaisie, les Philippines... 5 % pour le Brésil, le Mexique. Par contre, d'autres pays du tiers monde continueront à stagner, voire à régresser.

Tout cela annonce, d'ici vingt à vingt-cinq ans, une nouvelle et fantastique redistribution de la puissance économique et du commerce international.

La France peut se laisser aller à se figer dans structures actuelles, à tenter de limiter le chômage par le maintien des emplois existants, à productivité constante ou faiblement croissante, voire même décroissante, soutenus par des subventions publiques, financés par l'impôt ou par des crédits inflationnistes. Cela est possible, mais cela implique inéluctablement une baisse du pouvoir d'achat du salaire horaire. La voie du progrès rapide est maintenant fermée. Celle d’un progrès lent est ouverte, mais étroite et malaisée : progrès du pouvoir d'achat du salaire horaire de l'ordre de 1,5 par an — c'est-à-dire doublement en 50 ans, alors que nous l'avons doublé en 20 ans et triplé en 30 au cours des « trente glorieuses ». Cette voie implique cependant une intense activité créatrice, un fourmillement d'initiatives originales et d'efforts individuels, dont seule l'entreprise privée est capable ; elle exige un prudent mais instable équilibre entre l'utilisation maximale des compétences et des vertus rares, et la réduction globale de la durée du travail.

Plus d'efforts, plus d'intelligence pour un moindre résultat.

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[1] Cf. J. Fourastié, La Grande Métamorphose, P.U.F., 1961, p. 55. Texte repris dans le livre « poche », Idées majeures, p. 63 (1re éd., 1963).

[2] Cf. J. Fourastié, La Fin des temps faciles, éditorial du Figaro du 20 décembre 1973.

[3] La Grande Métamorphose, p. 58.

[4] Ce dérèglement des monnaies est si grand que personne ne semble, à l'échelle des nations, se proposer d'y mettre fin. On ne paraît même pas en avoir identifié les causes, si ce n'est l'abandon des étalons-or auxquels, pourtant, personne ne veut revenir (sauf peut-être la France qui ne le peut pas).

La tare des monnaies fiduciaires vient de ce qu'elles sont à la fois instrument d'échanges commerciaux et instrument de crédit. D'énormes quantités de dollars sont ainsi détenues par des personnes qui n'ont aucunement l'intention d'acheter des marchandises aux États-Unis ; elles n'ont que la volonté de placer des capitaux et trouvent le plus souvent, mais non toujours, avantageux de libeller leurs créances en dollars. Les cours du marché des capitaux se télescopent avec les cours du marché des marchandises, et la prédominance du premier marché, lui-même absurdement instable, déséquilibre radicalement le second. Le plus grave est que, si l'inflation cessait, ce que l'économie requiert, le marché financier, qui anticipe l'inflation et en vit, serait le théâtre d'immenses faillites, les débiteurs se trouvant incapables de rembourser leurs dettes en monnaies stables.