Alfred Sauvy tenait à rencontrer les jeunes chercheurs quand ils étaient engagés à l’INED, l’institut national d’études démographiques qu’il avait fondé et qu’il a dirigé jusqu’à sa retraite en 1964. Il y avait conservé un bureau comme conseiller et responsable de la revue Population. À mon arrivée en 1967, j’avais donc pris rendez-vous avec lui. Un immense classeur occupait l’un des murs de son bureau. Quand je suis entré, Sauvy rangeait dans certains casiers des articles du Monde qu’il avait découpés et des tirés à part qu’il venait de recevoir. Ainsi s’entassait dans ces petites cases tout ce dont il aurait besoin quand il lui faudrait écrire un article ou un chapitre sur l’évolution du PNB en Chine, la baisse de fécondité en Europe de l’Est ou la concurrence du rail et de la route.

Après les présentations d’usage, il me donna à lire une double feuille de papier. A gauche, un texte assez long et quelconque, à droite, le même, raccourci des deux tiers et deux fois plus clair. Le message était évident. Je devais m’appliquer à rendre compte de mes recherches le plus lisiblement et le plus simplement possible. Plus tard, en étudiant les premiers travaux de Sauvy, en particulier les deux articles du Journal de la société de statistique de Paris où il publia la première projection moderne de la population française, je me rendis compte qu’il avait effectué le parcours que décrivaient les deux feuilles. Ses premiers écrits étaient en effet laborieux et assez techniques. Encore en 1943, dans Richesse et population, son premier ouvrage de fond, le style est un peu lourd et pas toujours clair. Mais, dès les années 1950, sa prose s’allège, faite de courts paragraphes logiquement construits. Le public s’en rend progressivement compte. Un jour en 1980, Sauvy me dédicace son livre La machine et le chômage : le progrès technique et l’emploi. Il me dit en souriant que c’était la meilleure vente de sa carrière. Il allait sur ses 82 ans.

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