L'homme ne comprend pas son travail et il ne l'a jamais compris, en ce sens qu'il ne saisit pas les mécanismes profonds qui lient le geste qu'il accomplit actuellement et le résultat ultérieur ; mais cela entraîne pourtant deux comportements diamétralement opposés. Autrefois, le sentiment de participer à un processus mystérieux, qu'il considérait comme divin, suscitait l'enthousiasme de l'homme. Aujourd'hui, le travailleur participe encore à un processus mystérieux, mais qu'il croit hostile et destiné au bénéfice de quelques privilégiés. Ainsi, ce même caractère mystérieux qui donnait au travail traditionnel un sens religieux a pour seul effet actuellement de provoquer l'indifférence, le mépris, l'hostilité même de l'homme à l'égard de son travail.

[…] Dans le cadre des campagnes traditionnelles, misérable mais stable, et admis comme naturel ou voulu par Dieu, le paysan, quoique exposé aux pires souffrances de la famine et des épidémies, se sentait une personne, intégrée dans la nation et dans l'ensemble de la création ; dépossédé de son champ par la croissance démographique et de sa foi par l'ébranlement des sciences et des techniques, il est devenu un prolétaire, campant dans la nation; sa conception du monde a été nécessairement alors remise en question.

L’enthousiasme au travail a-t-il disparu ? Conférence 1956

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